Temps de lecture : 4 min
Voici une question vraiment pertinente d’un de mes étudiants, posée récemment. En alternance dans une entreprise, cet étudiant s’est rapidement rendu compte que le service achats était sollicité de toutes parts et devait courir entre les différents services de l’entreprise pour régler des problèmes (Finance, Bureau d’Etude, Production, …), tout en répondant aux fournisseurs. Or en même temps, toutes les ressources pédagogiques insistent sur l’importance de préparer ses négociations : la théorie c’est « 80% de préparation pour 20% d’entretien ». C’est ce que je dis à mes étudiants pendant mes cours. Mais aux vues du nombre de négociations réalisées par certains services achats et le peu de temps disponible restant … comment faire pour préparer ses négociations quand son emploi du temps est déjà saturé ?
Pour commencer, si on est obligé de faire des négociations tous les jours, on peut se demander légitimement si cela est spécifique à notre secteur d’activité, à notre entreprise… ou lié à une mauvaise organisation. En effet, certains métiers ont besoin de négocier chaque chantier, chaque projet … Mais mon expérience de responsable achats m’a montrée que bien souvent des processus peuvent être mis en place pour réorganiser le fonctionnement du service achats et ainsi réduire le nombre de demandes de prix et par conséquent le nombre de négociations. D’autres mécanismes existent, qui peuvent être mis en place en partenariat avec le fournisseur pour moins négocier et faire gagner du temps à chaque partie. Cela peut être des systèmes de rabais ou discount automatiques en fonction des montants en jeu, un système de RFA (Remise de Fin d’Année) à l’atteinte d’un seuil de chiffre d’affaires annuel, utiliser des listes de prix négociées annuellement ou trimestriellement, ou encore des outils de chiffrages internes (appelés outils de Costing ou ShouldCost) qui vous permettent de chiffrer vos demandes de prix les plus simples sans avoir à recourir systématiquement aux fournisseurs. Toutes ces solutions ont pour objectif de réduire le nombre de négociations que vous pourriez être amenés à faire et donc de gagner du temps dans votre journée.
« Tout le succès d'une opération réside dans sa préparation ». C’est ce que disait Sun Tzu dans son ouvrage l’Art de la guerre (célèbre général chinois du 6ème siècle avant JC qui a écrit un traité de stratégie militaire, dont beaucoup de conseils pourraient s’appliquer à la négociation). Malheureusement le temps manque pour pouvoir préparer chacune de ses négociations. Il est donc essentiel de choisir les négociations sur lesquelles passer du temps. Pour vous aider dans ce choix, je propose à mes étudiants d’utiliser la matrice enjeu/pouvoir. Je les invite à noter les négociations qu’ils s’apprêtent à réaliser selon 2 axes :
leur pouvoir dans la négociation, c’est-à-dire la capacité à faire changer leur interlocuteur de point de vue, à atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés ;
l’enjeu de la négociation : quelles sont les conséquences si leur négociation échoue ?
Si vous n’avez pas de pouvoir, je vous conseille de ne pas perdre de temps : ni à préparer ni même à négocier - votre temps est trop précieux pour cela. Lorsque l’enjeu est faible, cela semble évident, mais il arrive que l’enjeu soit fort et que l’acheteur.euse se retrouve sans pouvoir (par exemple avec un fournisseur en situation de monopole ou imposé par un client ou par un critère technique). Même si cette situation est très frustrante, il ne s’agit pas des négociations sur lesquelles vous devez passer le plus de temps.
En revanche si vous avez du pouvoir, même si la négociation est à faible enjeu, faites une négociation rapide sans préparation. Privilégiez un échange téléphonique ou une visioconférence plutôt qu’un rendez-vous physique et donnez-vous un timing précis. Par exemple « je me laisse 10min pour essayer de faire baisser ce devis de 5% ».
Enfin les négociations à fort enjeu et à fort pouvoir ou à pouvoir équilibré sont celles sur lesquelles vous devez passer un maximum de temps pour vous préparer.
La matrice enjeu/pouvoir peut donc vous aider à définir des stratégies de préparation des négociations, pour mettre votre énergie là où vous aurez le plus fort effet levier.
Ensuite, soyez efficace dans votre préparation, préparez « au juste nécessaire ». Identifiez quelles sont les clauses que vous souhaitez aborder et celles que votre fournisseur pourrait vous demander. Pour chacune, définissez clairement votre objectif et votre solution de rechange ainsi que les arguments que vous pourriez utiliser. Cela me semble le minimum requis pour arriver en négociation. Si vous avez plus de temps, vous pouvez travailler la formulation de vos arguments, anticiper d’éventuelles objections et les parades à rétorquer, trouver des éléments de preuves pour assoir vos arguments, … mais surtout prendre le temps d’étudier le site internet de votre fournisseur, bien comprendre son organisation, se renseigner sur votre interlocuteur, …
Enfin, utilisez une grille de préparation pour gagner du temps lors de vos prochaines négociation. Il existe de nombreux modèles dans la littérature mais l’idée est de garder une trace écrite de votre préparation sur laquelle vous allez pouvoir capitaliser. Ainsi en fin de négociation vous pourrez annoter cette grille : quels sont les arguments qui n’ont pas fonctionné, ceux qui au contraire ont bien marché, d’éventuelles objections fournisseurs que vous n’aviez pas anticipé ou des questions de votre fournisseur pour lesquelles vous n’aviez pas de réponses. Ainsi, lorsque vous aurez une nouvelle négociation à travailler, vous pourrez gagner du temps en reprenant une partie de ces éléments, vous n’aurez pas à rédiger / formuler à nouveau des arguments.
En conclusion il est essentiel de bien préparer ses négociations, mais il faut aussi bien choisir celles auxquelles consacrer du temps, sur lesquelles vous aurez un impact et un effet levier important.
Emmanuel Monleau, Directeur du programme Achats & Logistique – Inseec Msc Lyon
Retrouvez l’ensemble des publications de ce rendez-vous éditorial «Questions d’étudiants Achats : les réponses d’un prof' »
Le contenu auquel vous souhaitez accéder est réservé aux membres Parcours Croisés.
Déjà inscrit ? Connectez vous ci-dessous pour le consulter.
Vous n'êtes pas encore inscrit ? Cliquez ici ! C'est gratuit !
Mot de passe oublié, cliquez ici.
- 0 aime
Antoine PETITJEANMerci Emmanuel pour cette excellente question que beaucoup d'acheteurs se posent.
Je suis aligné avec votre réponse, et je propose de faire évoluer la matrice enjeu/pouvoir en matrice enjeu/pouvoir et état de la collaboration.
J'ai remarqué qu'en se focalisant sur le mot de pouvoir, de nombreux négociateurs s'arrêtent à la situation purement économique et estiment avoir peu de pouvoir quand ils ne font pas partie des clients principaux. Bien sûr la réalité économique est un élément clef, mais on sous-estime souvent l'importance d'autres facteurs plus difficiles à mesurer comme l'importance en tant que référence auprès de prospects pour notre fournisseur, une relation commerciale et administrative fluide qui fait de nous un client fiable et facile à gérer, ou le fait de faire partie des clients historiques du fournisseur par exemple...
- 0 aime
Christine MAIGNANTTout à fait d'accord et en complément, toute action sera une réussite si on applique la méthode ApA : Avant, avec une grande préparation (d'où la majuscule pour marquer son importance), pendant (bien préparé, elle se passera bien d'où la minuscule) et Après (Après par l'analyse pertinente (d'où la majuscule pour marquer son importance) de ce qui s'est passé pour mieux préparer la prochaine...).
Hors aujourd'hui, on applique plutôt la méthode aPa...