Tolérance au risque… N’exagérons rien !

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Peut-on tolérer l’utilisation de certains pesticides pour permettre la culture de ressources alimentaires ? Il ne s’agit pas de répondre à cette question, mais de se pencher sur la notion de tolérance au risque en management global des risques.

 

Ceci est intolérable !

Sur certains sujets comme la santé au travail ou celle des consommateurs, l’entreprise affiche une « tolérance zéro » par rapport au non-respect des règles d’hygiène et de sécurité. Ceci rejoint la notion d’engagement (voir l’article « Engagez-vous ! Oui, mais réellement… »). Celui qui n’a pas respecté les règles sera sanctionné, qu’il y ait eu ou non des conséquences dommageables pour l’entreprise. On est là dans le domaine de l’interdiction légale alors que la tolérance est une forme de liberté relative résultant d’une abstention d’interdiction.

En matière technique, la tolérance repose sur des mesures d’écart entre les caractéristiques prévues et celles constatées sur le produit fabriqué ou le service rendu : la tolérance calculée sera conditionnée à la fiabilité des données alimentant les dispositifs de mesure. Le produit ne correspondant pas aux exigences pondérées par cette tolérance sera rejeté. La tolérance pour un risque quantifiable en termes d’impact et de probabilité donne lieu à la fixation de seuils à ne pas dépasser.

 

On peut tolérer un risque pour atteindre des objectifs

L’ISO 31000 amène à identifier et à évaluer les risques par rapport à des objectifs. Aujourd’hui, nous sommes face à des objectifs inconciliables à première vue (productivité versus RSE). D’où la nécessité de prendre quelques risques permettant d’aller vers ces objectifs. Dans la révision de l’ISO 31000, la tolérance au risque consisterait pour l’organisme (et les parties prenantes concernées) à être prêt à supporter un « risque résiduel » de manière à atteindre les objectifs. Dans cette réflexion, ce n’est pas un risque brut, autrement dit sans mesures permettant d’en limiter les conséquences négatives, mais un « risque résiduel » qui peut être toléré. Ce risque résiduel englobe, d’une part, prévention et protection par rapport au risque brut et, d’autre part, une limitation dans le temps de l’usage du produit ou de la pratique source du risque.

Autre façon de faire, ne rien tolérer mais « supprimer » le risque : ainsi, pour que le risque ne se produise pas, on s’abstient d’utiliser tel produit ou telle technique. On rejoint le principe de précaution qui conduit à prendre des dispositions pour éviter un mal ou en atténuer les effets. Le problème du principe de précaution est qu’il devient un frein à l’action et à une prise de risque raisonnable. On reboucle sur le sujet de l’information et de la communication autour des risques et des objectifs : pour prendre des décisions sur la tolérance au risque, il faut savoir en justifier les conséquences…

 

Françoise Gaucher, risk manager expert

 

Retrouvez l’ensemble des publications de ce rendez-vous éditorial « A vos risques !… »

 

    • Hubert BAZIN
      Hubert BAZIN

      Merci pour ce topo clair. La tolérance au risque est multifactorielle et les entreprises sont des systèmes autrement plus complexes que les individus qui les composent.

      Dans le même genre : les OGM font-ils courir des risques aux consommateurs ? La méconnaissance généralisée du sujet ne simplifie pas les échanges mais, pour faire bref :

      1. la technique utilisée depuis les années 1950 (voire plus tôt) consistait à faire de la mutagénèse aléatoire, et à mettre en culture les individus qui présentaient des avantages agronomiques. Il n'y a jamais eu la moindre étude toxico (s'il y a eu une mutation intéressante, peut-être y en a-t-il eu d'autres ?), et ce mode d'obtention est considéré comme ne posant pas de problème - et personne n'en parle.
      2. La technique mise au point à partir des années 1980 consistant à insérer "proprement" un gène connu dans le génome d'une autre espèce est quant à elle réputée dangereuse et devant être combattue.

      Qui maintient la base de données mondiale sur les OGM ? L'Agence Internationale de l'Energie Atomique. Parce qu'une des sources de mutagénèse aléatoire largement utilisée était les rayons gamma.

      • Corinne THOMAS
        Corinne THOMAS

        Autre illustration par une situation vécue :

        Il y a quelques années, au cours d'un débat avec une scientifique à l'issue de la projection d'un documentaire sur Tchernobyl (lors du magnifique festival du film scientifique Parisciences, au Jardin des Plantes à Paris - la prochaine édition sera bientôt ouverte).

        Une personne du public se présentant comme inspecteur du travail, s'insurge violemment : "c'est inadmissible que votre employeur vous laisse aller sur le site de Tchernobyl et vous expose aux rayonnements ionisants... blablabla... Grave danger pour votre santé... Inconscience..."

        Le documentaire montrait une équipe de scientifiques réalisant des mesures au radiamètre dans différentes zones dans le périmètre interdit d'accès autour de la centrale de Tchernobyl. Les chercheurs démontraient les différences d'adaptation entre les souris et les oiseaux. Un scientifique russe avait même élu domicile sur le site et cultivait un jardin potager. Il expliquait qu'il ne consommait pas les épinards qui étaient très radioactifs, mais qu'il consommait les cerises, en prenant bien soin de recracher les noyaux, car la radioactivité se logeait dans le noyau, mais pas dans la pulpe...

        La scientifique qui répond à nos questions a beau expliquer que tous ceux qui intervenaient sur le site de Tchernobyl étaient porteurs de dosimètres et que leur exposition aux rayonnements ionisants était suivie et maîtrisée dans le cadre du code du travail, notre inspecteur du travail reste sur sa position, soutenu par quelques applaudissements.

        Or ces scientifiques étaient les mieux placés pour connaître les dangers des rayonnements ionisants, et en avaient évalué les risques, puisque c'était leur sujet de recherche.

        On ne peut faire une évaluation des risques pertinente qu'en ayant une très bonne connaissance du sujet. Le problème est que sur certains sujets, nos connaissances sont parcellaires, éventuellement brouillées par des lobbies. Nous, simples citoyens, n'avons souvent ni les connaissances de base, ni le temps nécessaire pour nous plonger en profondeur dans tous ces sujets complexes et parfois interconnectés.

        (Mais je me suis un peu éloignée du sujet initial sur la tolérance aux risques résiduels...)

        • Francoise GAUCHER
          Francoise GAUCHER

          Merci pour le retour positif sur ce texte et pour les commentaires! Les risques liés aux technologies nouvelles demandent souvent de l'expertise pointue. Et ensuite un bon niveau de compréhension a minima de ce que les experts disent pour arriver à reformuler en "langage de citoyen". Bref un gros travail notamment pour les risk managers et pour les responsables de communication/informations des entrepries... Affaire à suivre.

          • Hubert BAZIN
            Hubert BAZIN

            Le "langage de citoyen". Voilà un joli sujet de thèse, à une époque où un président des USA peut affirmer des inepties ahurissantes en "langage de citoyen", soutenues par un ministre de la santé à peu près aussi compétent sur le sujet que moi en dentelle aux fuseaux (i.e. je sais que ça existe, j'ai une vague idée des outils impliqués, et zéro connaissance en réalisation).

            Il aurait fallu demander à l'inspecteur du travail s'il avait déjà pris l'avion et lui demander ce qu'il pensait de l'exposition aux rayons cosmiques des équipages. Le directeur d'un site industriel ravagé par un incendie (qui s'est avéré d'origine criminelle) a attendu plusieurs mois pour que la préfecture autorise les pompiers (!) et les assureurs à pénétrer sur le site, du fait de la présence d'éléments de toiture en éternit - matériau amianté. Il m'a raconté l'inspectrice, revêtue d'une combinaison blanche et d'un masque, refusant que quiconque franchisse la rubalise. Devant : aucun risque, derrière : risque inacceptable. Ce sont les assureurs qui ont fait le coup de force pour enfin pouvoir faire leur métier.